Alors que l’infection respiratoire causée par un coronavirus qui s’est déclarée en Chine en décembre 2019 a déjà touché près de 7 700 personnes à la fin de ce mois de janvier 2020, nous évoquons la présence de cette famille de virus chez les oiseaux.


Les Canards colverts (Anas platyrhynchos) font partie des hôtes possibles des coronavirus.
Photographie : Marc Le Moal

Introduction


Les coronavirus (CoV) sont des virus dont l’ARN monocaténaire (= à simple brin) est protégé par une enveloppe d’où dépassent des protubérances protéiniques en forme d’épines évoquant une couronne solaire.Ils circulent en continu parmi les mammifères et les oiseaux, et constituent une menace pour le bétail, les animaux de compagnie et les humains, comme en témoigne la découverte en décembre 2019 dans un marché à animaux de Wuhan (Chine) d’un syndrome respiratoire (pneumonie) causé par un coronavirus appelé 2019-nCoV qui a touché près de 7 700 personnes et provoqué le décès de 170 d’entre elles au 30 janvier 2020.
Les CoV présents chez les oiseaux appartiennent aux genres gamma et deltacoronavirus, le plus répandu étant le virus de la bronchite infectieuse aviaire, hautement contagieux chez les poulets. Grâce au développement de techniques moléculaires, les connaissances sur les CoV aviaires ont fortement progressé ses dernières années.
Dans cet article basé sur une étude publiée dans le Journal of Veterinary Research, nous vous présentons plusieurs éléments concernant la présence de cette famille de virus au sein de l’avifaune et leur mode de transmission.

Abstract

Coronaviruses (CoV) form a family of single-stranded RNA (single-stranded) viruses with a fringe of large, bulbous surface projections creating an image reminiscent of a royal crown. They circulate continuously among mammals and birds, and pose a threat to livestock, pets and humans, as evidenced by the outbreak in December 2019, in an animal market in Wuhan (China), of a syndrome Respiratory (pneumonia) caused by a coronavirus 2019-nCoV which has already infected and killed respectively 7 700 and 170 people in the country on the 30th of January 2020, and which has spread to other parts of the world.
The CoV present in birds belong to the gamma and deltacoronavirus genera, the most widespread being the avian infectious bronchitis virus, highly contagious among chickens. Thanks to the development of molecular techniques, our knowledge of avian CoVs has greatly improved in recent years.
In this article based on a study published in the Journal of Veterinary Research, we present several elements concerning the presence of this family of viruses in wild and domestic avifauna and their mode of transmission.

Les coronavirus peuvent être à l’origine de maladies mortelles pour l’Homme

Virions (= particules virales) de coronavirus vus au microscope électronique : notez (1) les protubérances de leur enveloppe, leur donnant un aspect de « couronne solaire ».
Source : CDC/ Fred Murphy / Wikimedia Commons

Les virus de la famille des Coronaviridés peuvent infecter une grande variété d’êtres vivants, dont les oiseaux et les humains. Leur génome est un ARN à simple brin plus long que celui de la plupart des autres virus. Leur diversité génétique est importante grâce à leur grande capacité de mutation et de recombinaison, ce qui leur permet d’infecter de nouveaux hôtes. Ces nouvelles souches ont potentiellement un fort pouvoir pathogène, comme ce fut le cas du SARS-CoV à l’origine du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), une « pneumonie » atypique apparue pour la première fois en Chine en novembre 2002, diagnostiquée chez près de 8 000 personnes dans 29 pays et qui avait tué 722 personnes. En 2012, une autre maladie appelée le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), causée par un autre coronavirus, avait un taux de mortalité encore plus élevé. Les virus à l’origine du SRAS et le MERS avaient traversé la barrière des espèces, passant des chauves-souris aux humains via les civettes et les chameaux.
Au début du mois de décembre 2019, un syndrome respiratoire contagieux, causé par un coronavirus dénommé 2019-nCoV1, est apparu au début du mois de décembre dans un marché de Wuhuan (Chine) où sont vendus des animaux vivants : au 30 janvier 2020, il avait près de 7 700 cas confirmés et 170 décès recensés, essentiellement en Chine.

Les oiseaux peuvent servir de réservoirs à virus

Les oiseaux sauvages servent de réservoirs naturels à des agents pathogènes qui peuvent être transmis à des animaux domestiques : c’est la raison pour laquelle certaines familles sensibles, comme les Anatidés (canards, oies…) sont sous surveillance épidémiologique. Parmi les facteurs qui font des oiseaux d’excellents hôtes et bioréacteurs, citons la grande variété des espèces (plus de 10 000), certains aspects de leur comportement, comme leurs rassemblements pour se nourrir et dormir, et leur capacité à parcourir de grandes distances. Parmi les virus transmis par les oiseaux sauvages, ceux de la grippe aviaire (lire Grippe aviaire et migrations : Olivier Dehorter nous répond) et du Nil occidental (lire Le virus du Nil et les oiseaux) sont bien connus. De nombreuses études ont aussi démontré la présence de plusieurs genres de coronavirus au sein du monde aviaire.

Les coronavirus isolés chez les oiseaux

Poussin atteint de bronchite infectieuse aviaire : l’un des symptômes est la détresse respiratoire.
Source : Cornell University

Les coronavirus appartiennent à la famille des Coronaviridés, à la sous-famille des Coronavirinés, et à l’ordre des Nidovirales. Ils seraient apparus il y a plus de 300 millions d’années, puis ils se sont largement diversifiés génétiquement en fonction des différences des comportements de leurs hôtes (nourrissage, reproduction, formation de dortoirs…).
Initialement, leur classification était traditionnellement basée sur les résultats de la sérologie, mais une nouvelle méthode basée sur l’identification de certaines réplicases (les polyprotéines dont le rôle est de copier le génome des virus) est désormais utilisée. Les Coronavirinés sont désormais divisés en quatre genres : alpha, bêta, gamma et deltacoronavirus, qui remplacent la traditionnelle division en groupes antigéniques. Les alpha et bêtaCoV infectent plutôt les humains et les animaux domestiques, tandis que les gamma et les deltaCoV sont plutôt associés aux oiseaux, bien qu’ils aient également été détectés chez des mammifères marins, ainsi que chez certains carnivores asiatiques.
Le virus de la bronchite infectieuse aviaire ou IBV (Infectious Bronchitis Virus) est le principal représentant du genre Gammacoronavirus : il est à l’origine de la bronchite infectieuse qui touche principalement les poulets. Deux virus proches ont été isolés chez d’autres galliformes : le coronavirus de la dinde (TCoV), responsable de l’Entérite Transmissible de la Dinde, et plus récemment le Coronavirus entéritique de la pintade, à l’origine d’une maladie foudroyante.
Des virus similaires ont été découverts chez les faisans, les paons, les cailles, les Columbiformes (pigeons), les Pélécaniformes (pélicans, hérons..), les Ciconiiformes (cigognes, marabouts..), les Psittaciformes (perroquets…) et les Ansériformes (oies, canards…).

Les deltacoronavirus ont été découverts en 2009 chez certains passereaux (munias, bulbuls et grives) : ce genre est composé actuellement de huit espèces, dont sept sont liées aux oiseaux et une aux porcs.
Des études ont permis d’identifier en 2015 un autre coronavirus chez les canards, mais il n’a pas encore été nommé.
Il existe de nombreuses variantes du virus de la bronchite infectieuse aviaire dont les propriétés moléculaires et biologiques sont distinctes : en raison de l’absence d’une méthode claire de classification, de nouvelles règles basées sur la séquence du gène codant pour la protéine virale Spike (S1) ont été récemment proposées, permettant de nommer 32 lignées classées en six génotypes (GI à GVI). Fait intéressant, toutes les autres régions du génome de ces lignées sont similaires, ce qui suggère qu’elles proviennent du même ancêtre.

L’organisation génétique des coronavirus aviaires

Les coronavirus se caractérisent par leur brin d’ARN, qui est parmi les plus longs du monde viral : le nombre moyen de nucléotides qui le composent est de 27 500, allant de 27 331 pour la souche 3575/98 IBV à 27 718 pour la souche CK/CH/LGD/120724. Le génome du coronavirus du canard (GenBank n ° KM454473) en possède 27 754. Les séquences génomiques de 18 deltacoronavirus isolés chez plusieurs espèces d’oiseaux étaient un peu plus courtes, allant de 26 041 chez le coronavirus des zostérops à 26 689 chez celui des shamas dayal (Copsychus sp.)
Les génomes des coronavirus ont une structure et une organisation similaires : environ les deux tiers sont occupés par deux grands Cadres de Lecture Ouverts (Open Reading Frames ,ou ORF en anglais), qui sont des suites de séquences de trois nucléotides (= codons) codant pour les polyprotéines 1a et 1ab (des réplicases). Le tiers restant du génome viral comprend quatre gènes codant pour des protéines structurales (qui peuvent se lier à d’autres molécules). Il existe enfin également des protéines dites accessoires, dont la présence pourrait dépendre de la souche, qui n’ont pas de fonction essentielle dans la réplication virale, mais qui pourraient jouer un rôle dans la virulence.

Les différentes protéines virales et la réplication


L’exemple du processus de réplication du virus de la grippe A (cliquez sur le schéma pour l’agrandir) : (1) attachement du virus à la cellule, (2) entrée dans la cellule par endocytose, (3) diminution du pH, (4) fusion et libération du contenu du virus dans la cellule, (5) entrée de l’ARN viral dans le noyau, (6) fabrication de nouveaux brins d’ARN viral, (7) fabrication des protéines virales, (8) sortie de l’ARN viral du noyau, (9) migration des éléments, (10) assemblage, (11) bourgeonnement et (12) libération des nouveaux virus.
Schéma : Ornithomedia.com d’après l’Université du Maryland (États-Unis)

Le nom de «coronavirus» provient des protéines S qui dépassent de leur enveloppe et qui leur donnent une forme de couronne solaire. Cette structure protectrice est aussi composée de protéines M (membrane), E (enveloppe) et N (nucléocapside). Ils possèdent un seul brin d’ARN codant. Grâce à leur protéine S, composée des sous-unités S1 et S2, les coronavirus se lient à des molécules (des protéines ou des sucres) à la surface de la cellule hôte, qui servent de récepteurs, puis ils libèrent leur génome à l’intérieur de celle-ci après la fusion des membranes virales et cellulaires.
A partir de leur brin d’ARN initial, les virus sont capables de produire leurs protéines et de nouveaux génomes dans le cytoplasme de la cellule parasitée : ils produisent pour cela dans un premier temps une enzyme, l’ARN polymérase, qui assemble un second brin d’ARN en se servant du brin initial comme modèle. Ce second brin sert ensuite à transcrire de petits ARN sous-génomiques qui sont utilisés pour fabriquer toutes les autres protéines et qui jouent un rôle dans la réplication de nouveaux ARN. Les protéines N et M servent à lier les brins d’ARN et à créer l’enveloppe. Les nouveaux virus sortent ensuite de la cellule hôte.

Certains virus ont des affinités pour certains organes 

Le virus de la bronchite infectieuse aviaire a une affinité primaire pour les systèmes respiratoires des poulets, mais ses variantes pourraient également avoir un tropisme pour d’autres organes tels que les reins, l’oviducte, les testicules, la bourse de Fabricius (organe lymphoïde), les amygdales caecales ou le système digestif. Le principal récepteur de ce virus sur les cellules de son hôte est le glycane d’acide sialique, largement distribué sur les tissus, ce qui explique pourquoi ses souches peuvent également avoir une affinité avec d’autres organes. En outre, la diversité de la séquence de sa protéine S1 est élevée, ce qui augmente ses capacités de liaison sur les cellules hôtes.
Les souches néphropathogènes (touchant les reins) du virus de la bronchite infectieuse aviaire pourraient utiliser un récepteur différent ou supplémentaire, des différences peut-être liées aux particularités des régions codant pour leur protéine S1. Des études menées sur le coronavirus de la dinde ont aussi permis de découvrir des récepteurs spécifiques. On ne connaît pas encore le récepteur de la protéine S1 des deltacoronavirus.

Les méthodes d’identification des coronavirus chez les oiseaux

Les informations obtenues sur les différentes espèces d’oiseaux infectées par les coronavirus et leur prévalence ont été collectées grâce à des études basées sur l’utilisation de tests moléculaires. Cependant, ces méthodes de détection dépendent de la spécificité des amorces (des courtes séquences d’ARN servant de point de départ à la synthèse d’un brin complémentaire par une ARN polymérase) utilisées.

Des coronavirus ont été isolés chez l’Oie cendrée (Anser anser).
Photographie : Marc Le Moal

La technique qui a été employée pour la première fois lors d’un programme de surveillance des coronavirus était basée sur l’amplification de 251 paires de bases du gène codant pour la réplicase des coronavirus connus à cette époque : elle a permis d’identifier de nouveaux coronavirus infectant les Oies cendrées (Anser anser), les Pigeons bisets semi-domestiques (Columba livia) et les Canards colverts (Anas platyrhynchos). Des méthodes ciblant certaines régions du virus de la bronchite infectieuse aviaire ont aussi été utilisées : lors d’une étude moléculaire de ce virus, le gène de la nucléocapside (N) a été amplifié par une réaction de polymérisation en chaîne par transcription inverse (RT-PCR), et les virus ainsi identifiés ont été apparentés à celui de la bronchite infectieuse aviaire.
Cette approche a toutefois changé depuis car on a découvert que les gammacoronavirus, qui appartiennent à un autre genre, avaient aussi un génome proche de celui de la bronchite infectieuse aviaire, le seul gène divergent étant celui codant pour la protéine S, et que les recombinaisons étaient fréquentes au sein de ces groupes de virus.
La découverte récente la plus importante a été celle des deltacoronavirus (DeltaCov) et la détermination des critères permettant la discrimination entre les gamma et les deltaCov. Plus récemment, des amorces spécifiques au gène de la réplicase ont été utilisées afin de distinguer plus finement les coronavirus entre eux.
En résumé, les différentes études ont permis de détecter des coronavirus chez les ordres aviaires suivants : Ansériformes, Ciconiiformes,  Pélécaniformes, Galliformes, Gruiformes, Columbiformes, Charadriiformes, Psittaciformes et Passériformes.

Contaminations entre espèces et oiseaux sans symptômes

Le virus de la bronchite infectieuse aviaire (IBV) est omniprésent dans la plupart des régions de production intensive de volailles, où il  provoque de grandes pertes économiques. Ses souches sont responsables de maladies des voies respiratoires, urogénitales et digestives chez la Poule domestique (Gallus gallus). Cependant, de nombreux cas ont également été détectés chez d’autres espèces d’oiseaux, ce qui suggère que ces virus peuvent traverser les barrières des espèces. Récemment, ces virus ont aussi été isolés chez des canards domestiques et chez des Paons bleus (Pavo cristatus) sains, ce qui signifie qu’ils peuvent se répliquer sans provoquer de signes cliniques. En outre, un virus similaire à l’IBV inoculé à des poulets en bonne santé a causé chez eux une néphrite et une mortalité élevée, alors qu’une autre souche du type H120 s’est révélé être inoffensive, ce qui suppose que certains oiseaux peuvent être des hôtes sans présenter de symptômes.
L’identification de bétacoronavirus chez des oiseaux sauvages d’Amérique du Sud est très intéressante, car ils n’étaient auparavant détectés que chez les mammifères, même si ces résultats sont à confirmer.

Des élevages peuvent contaminer des oiseaux sauvages

Des coronavirus proches de souches vaccinales ont été trouvés dans des fientes de Cygnes chanteurs (Cygnus cygnus).
Photographie : Samuel Desbrosses

La détection de virus étroitement liés à la souche vaccinale H120 de l’IBV dans des fientes de canards et de Cygnes chanteurs (Cygnus cygnus) suppose la possibilité d’une contamination de ces oiseaux aquatiques sauvages par des volailles. Des gammacoronavirus ont aussi été isolés en Pologne chez des oiseaux sauvages appartenant aux ordres des Ansériformes (oies, canards…), des Charadriiformes (limicoles) et Galliformes (gallinacés).
En Égypte, des souches dont des fragments du gène codant pour la protéine S1 étaient très proches de ceux de la souche vaccinale Ma5 ont été trouvées chez des Corvidés, Ardéidés (hérons) et des Anatidés.
Si le taux de mortalité des oiseaux touchés peut être élevé dans les élevages, il semble plus réduit dans la nature. En résumé, des souches vaccinales, censées immuniser la volaille, sont susceptibles de se propager à des oiseaux sauvages qui peuvent servir d’hôtes ne présentant pas de symptômes, ce qui permet à ces virus de muter, de devenir éventuellement plus pathogènes, puis d’infecter des élevages.

Des taux de contamination variables

Selon les résultats d’études menées sur les coronavirus chez les oiseaux sauvages, les taux de sujets positifs diffèrent considérablement, allant de 0,3 à 50 %, des variations dépendant de facteurs temporels, saisonniers et spatiaux, mais aussi des méthodes de détection utilisées. Cependant, même en utilisant des techniques identiques, le taux de résultats positifs variait de 0,95 à 15 %. Parmi les autres facteurs pouvant influencer la prévalence des coronavirus chez les oiseaux sauvages, citons leur âge, leur genre, leur espèce et leur biologie (migrateur ou sédentaire, aquatiques ou terrestres).

En conclusion

Les coronavirus peuvent être transmis de la volaille aux oiseaux sauvages et inversement, ce qui favorise leur propagation sur de longues distances. Les oiseaux sauvages sont suspectés de propager différentes souches du virus de la bronchite infectieuse aviaire dans de nouvelles régions géographiques, comme la QX (lignée GI-19) de la Chine vers l’Europe, et la Var2 (lignée GI-23) du Moyen-Orient à la Pologne. Si un oiseau sauvage était contaminé par plusieurs coronavirus, il pourrait constituer un excellent terrain de recombinaison, ce qui contribuerait éventuellement à l’émergence d’une nouvelle maladie dangereuse pour les humains : c’est la raison pour laquelle la présence de ces virus doit être continuellement surveillée chez les groupes d’oiseaux sensibles, comme les canards et les pigeons.

Compléments

Source

Justyna Miłek et Katarzyna Blicharz-Domańska (2018). Coronaviruses in avian species – review with focus on epidemiology and diagnosis in wild birds. Journal of Veterinary Research. Volume : 62. Pages : 249-255. www.degruyter.com/downloadpdf/j/jvetres.2018.62.issue-3/jvetres-2018-0035/jvetres-2018-0035.pdf