Miss Lady

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Aujourd’hui, je vais vous parler de Miss Lady, une jeune femelle ara chloroptère.

Miss Lady est née, par un beau jour de début de printemps, dans le nid de ses parents, qui couvaient deux gros œufs.

Tout se passait bien, mais j’hésitais à surveiller l’intérieur du nid pour éviter de déranger les parents qui s’occupaient bien de leurs petits. Oui, les deux œufs avaient éclos et les petites boules de duvet, blotties l’une contre l’autre, étaient régulièrement nourries. Il suffisait d’apercevoir leur jabot bien rond et bien rempli pour être rassuré sur l’attention des deux parents envers leur progéniture.

Au bout de quelques jours, une météo capricieuse, avec alternance de chaleur et de froid, a eu raison de l’attention des parents, et j’ai malheureusement retrouvé un petit, mort dans le nid, probablement non nourri. Il fallait réagir vite…

Que faire pour le petit oisillon toujours au nid ? L’éternelle interrogation de l’éleveur : laisser faire Dame Nature, donc laisser le petit au nid, et voir venir… Ou bien décider de prélever l’oisillon ?

J’aime, quand les parents s’occupent de leurs petits, tout d’abord parce que c’est plus naturel, qu’ils savent certainement mieux faire que les humains, qu’il est « normal » que les parents élèvent leurs petits, et que, soyez franc, c’est beaucoup moins de travail pour l’éleveur !

Je commence donc par enlever le petit oisillon mort, pour le mettre hors du nid, et j’examine minutieusement le petit vivant.

Ce qui m’inquiète, ou plutôt ce qui va m’aider dans ma décision, c’est que les parents ne viennent pas tenter de m’attaquer comme ils le font généralement lorsqu’ils élèvent leur progéniture. Les deux parents sont dehors, en volière de vol, et ne cherchent même pas à entrer dans la volière intérieure où se trouve leur nid. C’est pour moi le signe qu’ils n’ont pas envie de continuer à élever le petit. Donc je prends, au creux de mes mains, avec douceur et toujours envahie d’une grande émotion, ce petit être, pour tenter de le sauver.

Direction nurserie, direction couveuse. Il y a toujours une couveuse qui ronronne dans la nurserie, chauffée juste à la bonne température, avec l’humidité requise pour accueillir confortablement, ce que j’appelle « une urgence vitale ».

Petit bonhomme… Oui, je sais, ce n’est pas un bonhomme, que c’est un oiseau, un petit perroquet, mais bon, je ne sais rien de lui, et le terme « Petit bonhomme » est le premier prénom qui me vient à l’esprit en déposant, dans la couveuse, ce petit être qui ne demande qu’à vivre.

Les jours passent, Petit Bonhomme mange, dort et se développe normalement.

Pourtant, ce qui peut paraitre un détail, attire mon attention, et je dois le reconnaitre, m’inquiète un peu : Petit Bonhomme a l’extrémité de son aile gauche légèrement inclinée dans un mauvais sens.

J’examine, rien de bien probant… Cela va s’arranger en grandissant, c’est quasiment imperceptible, mais visible tout de même par mon regard inquisiteur.

Les jours passent, Petit Bonhomme grandit, mange de plus en plus, puis ouvre les yeux, le duvet s’épaissit, une bague d’identification est posée, les premières vraies plumes commencent à pousser sous la peau et pointent le bout de leur nez… Tout va bien…

A part que l’extrémité de l’aile gauche est, de plus en plus, disons, de travers.

Je regarde, j’examine, je commence à être vraiment inquiète : que se passe-t-il ?

Photos ! Puis coup de téléphone au vétérinaire, partage de photos, et verdict : malformation de l’aile sans doute liée à une mauvaise position dans l’œuf ! Eh oui, cela aussi peu arriver.

La malformation génétique est balayée, car ce couple a déjà eu de nombreux petits, sans aucun problème physique, et que ce couple n’est pas du tout consanguin.

Que faire ? Attendre ? Observer ? Prendre une décision ?

Nous, c’est-à-dire le vétérinaire et moi, décidons d’attendre pour voir l’évolution…

Des dizaines d’idées et de questions fusent dans mon esprit.

Un perroquet avec une aile malformée, ce n’est pas une bonne chose : si un perroquet a deux ailes, c’est pour voler !

J’espère que cette malformation ne sera pas grave, j’espère même que tout va rentrer dans l’ordre, et que seule la petite dernière partie de l’aile sera différente, mais que l’oiseau pourra vivre normalement, c’est-à-dire comme un oiseau.

Les jours passent, l’oisillon devient plus grand, il est adorable, comme tous les oisillons, «moche » comme disent les personnes qui voient ces oisillons sans plumes, avec un gros bec, un gros jabot, qui essaient de se tenir sur leurs deux pattes. « Moche » … moi, je les trouve beaux ces quelques grammes d’oisillons pleins d’énergie et de désir de vivre

Le temps passe, l’aile se déforme de plus en plus… Inquiétude…

Discussion avec le vétérinaire, nouvel échange d’informations et de photos. La question de l’euthanasie se pose. Je prends le temps de réfléchir, et je dois reconnaitre que de temps ce réflexion est difficile. Comment choisir de prendre la vie de ce Petit Bonhomme de perroquet, après l’avoir sauvé, nourri, dorloté ? Mais quelle responsabilité de décider de laisser vivre un oiseau qui, sans doute ne pourra jamais voler ? Je le dis, je le redis, je « me » redis : Si un oiseau a deux ailes, c’est pour voler.

Et puis, cet oiseau, ce n’est pas, ce ne sera pas un « petit » oiseau. Un ara chloroptère, c’est un grand perroquet, avec de grandes ailes, un oiseau de grande taille.

Que faire ? Quelle décision prendre ? Quelle est ma responsabilité, quel est mon devoir d’éleveur, certes, mais aussi celui d’une femme, une femme amoureuse et respectueuse des perroquets ? Si j’élève des perroquets, ce n’est pas uniquement pour mon plaisir, un peu égoïste ; mais aussi et surtout pour que « mes » oiseaux soient heureux, en bonne santé, et promis à une belle vie d’oiseau.

Que faire ?

A chaque nourrissage, j’examine ce petit perroquet, je l’examine avec mes yeux, ma rigueur d’éleveur, mais aussi avec mon cœur, mon amour et mes hésitations.

Et le petit oisillon continue de grandir, de vivre « normalement » malgré son aile un peu tordue.

Au risque de faire rire, sourire, grincer des dents ; au risque de passer à vos yeux, d’être irresponsable, voire incapable, je vous livre, sans aucune censure,  les pensées qui m’animent à ce moment-là:

Dans la vie, il y a les personnes valides, en pleine forme, belles, bien constituées physiquement, et  puis…

Il y a aussi ces personnes dit handicapées, ces humains , que l’on dit «  pas tout à fait comme les autres », mais qui vivent, quasiment normalement ; qui souvent ont la rage de vivre, et qui arrivent, pour la plupart, à être heureux, heureux de vivre. Ces personnes, un peu différentes, dont i il est coutume de dire « font avec leur handicap ».
Cela peut paraitre ridicule, mais pendant cette période d’intense réflexion, il y a, à la télévision, les retransmissions des Jeux olympiques des sportifs handicapés. Je crois bien que je n’ai jamais autant regardé des Jeux : les médailles ne m’intéressent pas, mais je suis émue, parfois aux larmes, en voyant les épreuves des ces sportifs, que l’on pourrait qualifier de «  pas tout à fait comme des autres », mais qui sont de vrais sportifs, avec la même fougue, la même rage de gagner, le même sourire triomphant en cas de réussite, les mêmes grimaces de déception,   et parfois les mêmes larmes devant l’échec, après tant d’heures, de mois et d’années d’entrainement ! Ces hommes et ces femmes sont des sportifs, de vrais sportifs, des humains comme vous et moi : ils vivent, ils espèrent, ils désespèrent parfois, mais ils se battent, et surtout, ils vivent, comme nous, comme vous et moi !

C’est décidé, « Petit Bohomme » va vivre, handicapé certes, mais je vais tout faire pour lui assurer une vie heureuse, et je sais qu’il va se battre, qu’il va s’adapter, qu’il va organiser sa vie d’oiseau, même avec une aile tordue !

Bon, puisque c’est décidé, il faut que « Petit Bonhomme » devienne un vrai perroquet, et pour cela il faut lui donner un nom. Mais pour lui donner un nom, il faut savoir s’il est mâle, ou femelle. Les vraies plumes commencent à pousser. Alors avec une petite pince à épiler je prélève quelques petites plumes naissantes, et direction laboratoire d’analyses, pour une recherche de sexe par ADN.

Les jours passent, toujours trop longue cette attente. Je guette mes emails, j’attends… Ding… Un message… Le labo… Verdict : « Petit Bonhomme » est une femelle ! Zut ! J’étais persuadée que Petit Bonhomme était un mâle ! Raté, c’est une demoiselle, et je n’ai pas pensé à un prénom pour une demoiselle.

Jamais évident, pour moi, de baptiser mes petits. Alors, comme à mon habitude, j’attends que l’inspiration me vienne. J’ai eu des perroquets qui, dans les premiers temps de notre vie commune, ont changé de prénom plusieurs fois. Je décide d’un prénom, et voilà que je l’oublie, ou que ne n’arrive pas à le prononcer, ou que je pense à un autre prénom, j’hésite, je tergiverse. Et puis un prénom commence à prendre forme, et très vite, il ressemble à mon oiseau.

Mais voilà, j’ai du mal à trouver autre chose que « Petit Bonhomme » pour mon petit perroquet handicapé. « Petit perroquet handicapé » ce n’est pas un prénom pour un ara chloroptère femelle, comme l’affirme d’attestation du laboratoire.

Je décide d’attendre, rien ne presse. Il m’arrive même, en m’occupant de « Petit Bonhomme » de lui demander comment « il » veut s’appeler !  Vous souriez ?  Vous pensez que ma santé mentale en a pris un coup ? Vous n’osez peut-être pas le dire, mais vous le pensez… elle est folle ! Pas grave, j’assume, il y a bien longtemps que l’on me prend pour… disons… une demi-folle, une « un peu bizarre », une « pas très bien dans sa tête »… Et pourquoi pas une « handicapée du cerveau »… Je souris avec vous, j’assume, je l’ai dit, et je sais que vous et moi, nous sourions gentiment, et c’est le principal.

Bon, revenons à « Mademoiselle » … Tiens, ça y est, « Petit Bonhomme » est devenu « Mademoiselle » ! Il y a de l’évolution dans ma petite tête. Je me demande si c’est la tête, ou le cœur qui est concerné ? Je crois bien que c’est le cœur, mais bon, la tête et le cœur, chez moi, sont souvent liés comme de vrais jumeaux… Là encore, j’assume !

Mademoiselle grandit, prend de belles couleurs, rouge, vert, un peu de bleu. Il est toujours surprenant, pour moi, de voir à quelle vitesse, un petit être tout rose et presque tout nu,  sorti de son œuf, devient un superbe perroquet aux couleurs vives et chatoyantes.

Mademoiselle partage sa couveuse avec d’autres petits perroquets en cours de sevrage : aras de Coulon, vert et bleu intimement mélangés ; Conures dorées, également connues sous le nom de Guaruba, Aratinga Guarouba, ou même sous le nom précieux de  « Conure de la Reine de Bavière », merveilleux petits perroquets jaune et vert, à l’image du drapeau du Brésil, dont ils sont originaires.

Mademoiselle, devient, très vite beaucoup plus volumineuse que ses compagnons de couveuse. Elle aime se blottir contre eux. Il serait plus réaliste de dire que les petits aras de Coulon et les jeunes Guaruba et aras nobilis, adorent se blottir contre Mademoiselle. Elle se laisse faire, la belle demoiselle, se pousse, se colle, et même écarte ses ailes pour que les petits y soient bien au chaud.

Mademoiselle, peu à peu,  devient la Nounou de la couveuse,et c’est touchant à voir.

Comme je l’ai dit plus haut, un oisillon perroquet grandi vite, et la couveuse devient trop petite, inadaptée à l’évolution de ses occupants, qui commencent à vouloir découvrir le monde. C’est le temps de la découverte de la vie, de la vraie vie : un perroquet, si jeune soit-il, a un bec pour manger, lisser ses plumes : des pattes pour marcher et surtout pour attraper tout ce qui est à portée de pattes ; et deux ailes… pour voler, évidemment. C’est le moment d’étirer ses ailes, de les lever très haut, du moins aussi haut que possible. C’est aussi le temps de découvrir le plaisir de battre des ailes.

Il convient donc, maintenant, de rejoindre la première grande cage, enfin petite cage, juste une cage de transition pour apprendre à devenir grand, alors que l’on est encore petit.

Mademoiselle, bien évidemment, est transportée dans la nouvelle cage, avec ses copains, ses protégés. Oui, ses protégés : Mademoiselle s’avère être une vraie Nounou. Elle ne bouscule jamais les plus petits qu’elle, elle en prend soin, les dorlote, les abrite sous ses ailes, y compris sous l’aile pas tout à fait « normale ».

Mademoiselle a un gros bec, les aras chloroptère ont un gros bec blanc, puissant. Mademoiselle commence à gratouiller les plumes naissantes de « ses » petits. Ils adorent cela, et comme ils comprennent vite, l’instinct aidant, eux aussi gratouillent leur Nounou du bout du bec, et Mademoiselle se laisse faire avec bonheur et délectation.

La vie en commun s’organise, le mimétisme aide à une évolution plus rapide des hésitants devant une nouvelle croquette, un bout de pomme, un biscuit ou quelques bouchons en plastique coloré. La vraie vie se met en place : se nourrir, boire, jouer, se toiletter, vocaliser, observer l’environnement, se reposer, et dormir.

J’aime assister à cette évolution, et je dois reconnaitre que tout va plus vite quand les petits perroquets ont la chance de pouvoir vivre ensemble. Le fameux « Vivre ensemble » est toujours source d’enrichissements, que ce soit pour les humains, les animaux, et mes petits perroquets.

La vie continue donc, avec Mademoiselle Nounou, qui prend soin des jeunes, se laisse envahir parfois, toujours en douceur, toujours infiniment respectueuse des plus petits qu’elle. Il faut dire que Mademoiselle devient grande, commence à grimper aux parois de sa volière, souvent imitée et suivie par les petits.

Mademoiselle aime s’installer sur un perchoir, s’agripper dans le cercle d’une balançoire en corde, sur laquelle elle se berce doucement, pendant de longs moments. Ses petits compagnons eux aussi grandissent, mais seront toujours d’une taille bien inférieure à la sienne. Qu’importe, ce n’est pas la taille qui fait la différence en amour et en amitié.

Il n’est pas rare qu’un petit garnement Guaruba, ou jeune ara nobilis, vienne se percher sur la tête de la Miss… Tiens, « Mademoiselle » a encore changé de prénom, elle se nomme désormais «  La Miss ».

La Miss se laisse toiletter par ses copains, elle soulève ses ailes pour qu’ils puissent gratter avec leurs pattes, se blottir, ou nettoyer, avec leurs petits becs, les tuyaux des grosses plumes qui poussent.

C’est l’entraide ! Car La Miss, elle aussi, nettoie, gratte, grattouille les plumes naissantes des petits.

Pour moi, c’est le vrai bonheur, j’en viens même à oublier que La Miss a vraiment une aile pas comme les autres ! L’aile est toujours un peu tordue… Désolée, je ne trouve pas d’autres qualificatifs, que ce vilain mot de « tordu ». Les plumes ont recouvert cette aile, mal formée, plus petite que l’autre.

C’est définitif, La Miss est un perroquet handicapé, mais La Miss évolue comme un vrai perroquet, qui ne pourra sans doute jamais voler… Carpe Diem… Demain sera un autre jour.